Portrait de Philippe Sollers par Sophie Podolski

Partie 1

N’ayant jamais lu le moindre de ses bouquins (oui oh, ça va hein !), je crus un temps, à la lecture de sa préface elle aussi habitée du Pays où tout est permis (nommée Biologie), que Sophie avait influencé, infecté même, le travail de ce grand ponte de la littérature française. On ne m’avait pas prévenu qu’en fait, l’illustre Sollers mettait un point d’honneur à se retrouver, avec ses amis de Tel Quel, à peu près pile à l’avant-garde de la littérature. Aussi, avec des livres tels que H ou Paradis, il n’avait pas attendu la jeune Sophie pour envoyer valdinguer les règles de ponctuation et adopter une écriture des plus aventureuse.
L’auto-proclamée “pRoétesse” agit ici tout du moins comme adjuvant aux expériences littéraires du savant-fou Sollers, me souffle-t’on dans cette analyse universitaire érudite (ouf).

Certes, on me dira que c’est assez facile, tout cela, et d’aucuns crieront au pistonnage, puisque Sophie avait pour grand-mère une amie de l’écrivaine Dominique Rolin, elle-même, je ne vous l’apprends pas, (très) proche de Philippe Sollers ; mais dans Le Pays où tout est permis, Sophie s’abandonne à une transe, un flux presque sans fin de phrases ahuries, de formules impertinentes, irrévérencieuses et subversives, capables de marquer durablement les rares impudents qui s’aviseront de feuilleter les plusieurs centaines de pages de cet ouvrage un temps oublié, et aujourd’hui quasi-sacré. Vlan.

On s’en doute, nos amis du Montfaucon Research Center s’en fichait un peu, d’être ou non reconnus par le Tout-Paris. De son côté, Sophie sera quelque peu irritée de voir son livre originellement manuscrit débarquer en librairie typographié (les sots !) et dans une version aseptisée.

Quoiqu’il en soit, si j’ai bien compris, la version originale du précieux ouvrage serait conservée dans les archives de la Bibliothèque Royale Albert Ier de Belgique (L’Albertine pour les intimes) – je ne m’y aventure cela dit que très peu : à peu près chaque requête (l’emprunt d’un livre, par exemple…) y nécessite une demande écrite ou en tout cas planifiée des semaines en avance. La dernière fois que je m’y suis rendu, après avoir bien déposé mes affaires personnelles dans l’un des casiers prévus à cet effet (celui au nom d’Hugo Claus était déjà pris, tant pis, ce fut encore une fois Amélie Nothomb…) et étudié en silence comme il se doit, j’ai dû quitter la studieuse salle de travail de manière impromptue, pour prestement me rendre aux toilettes sans toutefois en demander la permission. Je n’ose m’y rendre, depuis, de peur d’être râdié, ou conduit séance tenante auprès des forces de l’ordre. Ou pire : jeté (de force) – Bibliothèque ROYALE oblige – au pied du trône de Philippe, Roi des Belges…

Mais cela n’a en rien freiné mon intérêt prononcé pour l’art de Sophie Podolski : je viens de me mettre à dessiner – comme elle, à toute berzingue ! Autant le dire : Sophie m’a, moi, bel et bien contaminé.

J’ai trouvé le Rapidograph horriblement cher, j’ai donc fait le choix artistique de dessiner au Bic.

Je suis bien loin d’être le seul à avoir été séduit par l’intrigante Sophie Podolski, en poursuivant mes recherches j’ai encore appris que dans la célèbre chanson Bruxelles de Dick Annegarn, c’est bien cette Sophie-là que Dick cite tendrement. A l’époque, elle côtoyait d’ailleurs d’autres musiciens, dont Vincent Kenis, futur co-fondateur des légendaires Aksak Maboul. (Beaucoup) plus récemment, dans un article du dernier numéro de Dazed, l’auteure Juliet Jacques en fait même une prêtresse Queer.

J’ai aussi, tout de même, enfin achevé la lecture de mon livre. J’y ai appris que Chris Kraus, vidéaste, essayiste, et auteure du roman féministe culte I love Dick (qui a inspiré la série du même nom), invitée à contribuer à cette monographie / sorte de catalogue de l’exposition consacrée à Sophie au Wiels de Bruxelles en 2018 (mon livre), avait longtemps pensé que Sophie n’existait que dans les livres de Bolaño – mouhahaha, les gens, j’vous jure.

Le dessin en couverture du livre, où je vois du Miro.

Il est très tentant de romancer et d’idéaliser la vie et l’œuvre de Sophie Podolski (moi-même j’avoue que…). Ce serait oublier que tout n’était pas rose, au Pays de Sophie : comme on le subodore à la vue de la photo sous le titre du présent article, Sophie – qui s’y tient un peu comme si, comme moi dans la salle de travail de L’Albertine, elle avait le besoin urgent d’uriner –, est un être tourmenté. Diagnostiquée schizophrène dès l’âge de onze ans, elle subit de nombreuses crises et sera envoyée dans différents établissements spécialisés à Bruxelles puis Paris.

“Mon génie s’effrite. Je ne me plains pas. Je dis seulement que j’ai mal”, écrit-elle dans Le Pays où tout est permis ; car comme le dira Chris Kraus au pointu journal bruxellois BRUZZ : “Plus qu’une composition, c’est comme la transcription d’un état mental”. Bien vu Chris. Ainsi, Erik Thys, psychiatre de son état, est lui aussi appelé à s’exprimer sur Sophie. Il s’épanche longuement sur le sujet dans le bouquin, et pour résumer, il rappelle que souvent, génie et… disons “instabilité mentale” vont de pairs, et que donc tout s’expliquerait peut-être. Pour supporter ses crises (et la vie dans le nôtre, de pays), Sophie goûta aussi beaucoup aux drogues. Forcément, son travail fut souvent décrit comme psychédélique. Mais Chris Kraus signale aussi que, même si tout ne fait pas toujours sens dans les écrits et poèmes graphiques de Sophie, “il y aura soudain cette ligne qui brillera à travers les âges”.

Où aller pour vivre maigre mais libre

Je ne suis toujours pas arrivé au passage des Détectives Sauvages où Roberto Bolaño mentionne Sophie Podolski. J’en feuilletais machinalement les pages, l’autre soir, au Dolle Mol, bar historique et haut lieu du milieu libertaire bruxellois, rouvert récemment – “mais avec beaucoup moins d’anarchistes qu’à l’époque” me souffle-t’on –, me disant que j’aurais pu croiser Sophie en ces lieux et, qui sait, l’interviewer (un brin éméché) ; elle y avait ses habitudes au début des années septantes. Ç’aurait été compliqué, cela dit : perturbée par des idées de plus en plus noires et la peur-terreur de vivre à l’âge adulte dans cette société répressive, Sophie Podolski a dit “VOUS ÊTES TOUS DES CONS” une dernière fois, un jour de 1973, à vingt et un ans seulement.

Marcel RAMIREZ

Crédits photos : Joëlle de la Casinière / Wiels
Source principale : Sophie Podolski, Le pays où tout est permis. Mercatorfond Wiel